ADAM et YVES

Posté le par Louis dans Récit et littérature

L’ambulance fit crisser ses pneus de détresse et de vie sur le gravier.

La fumée qui flottait dans le couloir de l’immeuble irritait les poumons des bien-vivants et leurs yeux curieux ou empathiques.

On dévala des escaliers noircis, on escalada, on se hissa, on cria de plus belle :
Plus belle :
Des mots qui font mal à l’amoureux qu’on abandonne sur l’humide pavé des mauvais jours !

Sur une civière :
Un presque mort, un suicidé d’amour…


Je les connaissais, ces deux garçons polis et avenants.
L’un d’eux, quand je descendais de l’autobus près de la Résidence me proposait :
- viens, on rentre à la maison, d’acc ? –

L’autre, Yves, était plus réservé.

Souvent, je les croisais en me rendant chez une voisine mélomane, une bulgare qui était l’amie d’une dame qui avait tant compté pour ma femme et moi et que nous avions accompagné dans la mort cancéreuse…

Nous l’avions rebaptisé :
Caroline Bichet :
Donc, si Annemarie était morte à présent,
Caroline ne mourrait jamais de chez jamais !

Les fois où j’avais échangé avec Yves :
Il m’avait dit combien il aimait les peluches…

Cela m’avait fait du bien :
Un homme qui aime comme ça les peluches :
La douceur !

Il était fragile, Yves.

Il vaut mieux être très raffiné que d’être un sale et gros con,
M’étais-je dit in petto,
Bien que ses manières de fille m’agaçaient…


Mais sans plus :
Car je pouvais le comprendre.

Homosexualité :
Le mot était lâché !
Comme on lâche un animal dangereux, bruyant et indéfinissable que les bonnes gens prennent en grippe :

On voudrait organiser des battues, former des milices, des brigades du normal :
Comme sur la BBC, en 1940 :
Sauf que là c’est :

Les normaux parlent aux normaux !

L’homo, cela me faisait rire ce mot :
Car le genre homo, en science, en anthropologie désigne les humains et les pré humains :
L’homo erectus, c’est plus marrant !

Qu’en était-il d’Adam ?
Ici, est-ce qu’Yves lui avait présenté la pomme ?

Où était le tentateur ?

Que rétorquait Adam, quand DIEU le sommait de lui répondre, parce qu’il était DIEU :

- Adam, où es-tu ? –

Les pompiers faisaient leur besogne de bravoure et de compassion, mais je crois qu’Yves ne voulait plus jamais revenir.
ICI.

Pendant ce temps, la rivière aux reflets d’or aux premiers feux du printemps s’écoulait, entre ses verdures.
Tout était calme et vivant dans la campagne encore toute fraîche, encore en rosée de vivre.
Il était tôt, l’heure de la beauté,
Sur cette plaine que j’aimais :
Vers les dix heures à peu près.

Déjà, en cet avril, tout avait refleuri sur les prairies des hommes,
Autour des fermes, autour des villages.
C’était ma rivière, rien que pour ma fatigue et mon repos.
C’est sur ses rives que j’avais rêvé l’adolescente, l’amoureuse :
Elle me disait :
- je suis heureuse - !

Quand Yves fut dans l’ambulance, avec de quoi mieux respirer :
L’espoir ne revint pas dans ses veines.


Adam l’avait-il trahi ?

C’est le pire : la trahison…

Trahir, c’est tuer !

L’hôpital se profilait dans les cent mètres, il fallait faire vite, le plus vite possible.

Moi qui n’étais rien pour lui, j’avais supplié de monter dans l’ambulance.
Pour qu’il ne fût pas seul, pas trop trop seul…
J’étais devant, lui à l’arrière, avec l’infirmière ou le médecin qui faisaient les gestes de toujours pour le ramener à…
Pour le ramener à …

Au désespoir d’être au monde quand on a été trahi en amour…

Ce que je savais de ces deux, c’était qu’ils étaient tout palpitants à l’idée de se marier, avec l’air du temps qui leur promettait cette issue ou la leur promettrait…

Depuis le brancard horrible,
A l’arrière de l’ambulance, bizarrement, un peu réveillé, il m’appelait, d’une manière lancinante :

LOUIS, LOUIS, LOUIS !

Au début, je crus qu’il disait oui :

Oui à la vie, OUI à l’espoir, OUI à la résilience…
Mais non, il m’appelait.

Je ne pouvais pas le toucher, d’où j’étais assis, et ne pas toucher, pour moi, c’était dur, vraiment dur !

Il se rendormit, il s’éteignit.

Aux urgences, aucun massage cardiaque, aucun défibrillateur ne le ramena à …
Ne le ramena à …

La souffrance de vouloir aimer quand on ne l’est pas, quand on ne l’est plus, quand on prend conscience de ne jamais l’avoir été…

La rivière ne savait rien de tout cela, elle était éternelle…
Son cours ne dépendait pas d’elle, mais des pluies et des étés,
Des glaces et des renouveaux du soleil.

Mais il n’y a plus de soleil dans les cœurs qui désespèrent :
C’est le froid.

Le froid de la mort, quand a disparu le foyer de l’amour.


Depuis plusieurs mois, Yves avait froid dans son cœur.

Moqué pour ce qu’il était :
Un- un petit pédé –
Lui avait dit une collègue :

Trahi pour ce qu’il était :
Un amant comme les autres :

C’est-à-dire un malheureux…

Comme d’habitude, lui mort, on allait fouiller chez lui, téléphoner à sa femme qui était un homme,
Lui prendre ses papiers et liquider son argent et ses biens :
Finalement, là au moins, il était comme tout le monde :
Un cadavre n’a plus de préférence sexuelle, plus de sexe.

Les Assurances s’en mêleraient, les vautours et les chacals…

C’est tout ce qui reste d’une vie, surtout quand elle n’est pas conforme…

C’est les héritiers qui seraient contents :
Et puis, dans la famille, c’était devenu un chancre, cet Yves, une pustule, un furoncle et une fistule :
Un truc purulent qu’on cache :
Souvent, on plaisantait sur les hémorroïdes d’un homo…


Ah, là, là :
C’était tordant…

L’âme d’Yves se fondit dans la nature qui le comprenait, car c’est la nature qui l’avait fait comme ça…

La rivière des tourments l’accueillit, il était caché là, sous les pierres humides, sous les feuillées qui jouaient avec le vent.
Tous les petits dieux du lieu et même les petites déesse l’appréciaient :
Ses hormones étaient comme ça :
Les plantes avaient aussi des hormones à elles, parfois conformes, parfois non.

Avait-il une sépulture : non.
Un mausolée : oh ! certes non.
Une urne : au début oui, mais après, Adam, ça l’énervait.

Alors, il prétendit qu’Yves avait émis le souhait d’être répandu sur la rivière qu’on appelle PLAISIR.

Il prétendit savoir où elle coulait, la coquine…

Mais, il s’en foutait bien.
D’ailleurs, il ne fut pas inquiété par quelque autorité :
Bien placé qu’il était, l’Adam !
Chez les carabins, chez les argousins : flicaille et toubiberie !
Alors, au fil de ma rivière, celle de mon cœur aimant, les cendres de celui qui était mon ami posthume avaient nourri mes fleurs préférées, qui ne s’étaient pas demandé si c’était du carbone ou de l’azote homosexuel :
Il était pur,

Je crois qu’il l’a toujours été.

Je t’aime bien, Yves, repose en moi,
Dans la PAIX de ma rivière du dedans !



Mes floraisons te célèbrent et je t’entends parfois m’appeler :
C’est si doux d’être appelé :
C’est qu’on existe, qu’on a un rôle, une âme et un corps reconnus.

C’est moi, LOUIS, je t’ai entendu et pour toi j’ai écrit ces lignes qui me font mal.

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi l’amour n’est pas pour tout le monde.

Il arrive que des désespérés imaginent un visage, des lèvres, une chevelure aimés :
Mais pourquoi, cette personne ne vient pas, là, tout de suite, pour les sauver ?
Elle ne viendra jamais, JAMAIS.
Alors tant pis…

Quand j’étais malade, j’embrassais les mains des infirmières et des doctoresses :
Elles ne les retiraient pas :
Les mains :
C’est toute la vie !

Yves, je pose ma main sur ton enfer car je suis bien sûr que tu es en paradis !

Au paradis des cœurs brisés qui sont dans la lumière éternelle de l’AMOUR

Louis Polèse
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